L'article qui suit est déjà paru sur plusieurs sites. Histoire d'arriver à livrer au moins un article par jour, je fais du recyclage. Certains auront donc déjà lu
ce qui suit, d'autres pas et ça sera là l'occasion de le découvrir.
C'est aussi l'occasion dans ce billet d'ouvrir (encore) une nouvelle rubrique, à savoir le tour d'horizon de mes réalisateurs préférés. Ayant été fortement marqué
par Tim Burton (mon film culte de chez culte reste indubitablement Batman Returns), il est normal que, pour inaugurer ladite rubrique, l'article qui suit lui est dédié.
Hélas, ce qui suit est extrêmement long. Je remercie d'ores et déjà ceux qui avaient déjà pris la
peine de lire ce "petit" écrit auparavant et m'excuse auprès d'eux de la redondance occasionnée. Peut-être qu'ils auront envie de le relire, qui sait? J'écris tellement bien! (hop! nouvel envoi
de fleurs).
Place! Voici le plat de résistance.
Le propos qui suit est évidemment subjectif et ne se veut que le ressenti d'un cinéphile amateur qui n'a pas hésité durant de nombreuses années à proférer que son
réalisateur préféré était Tim Burton. Non pas qu'aujourd'hui ce jeune fan ait honte de le dire à quiconque veuille l'entendre, mais au vu des récents films de l'artiste qui ne cessent d'accumuler
les déceptions partielles et complètes, il a dès à présent du mal à dire que la grande majorité des films du maître sont des chefs-d'oeuvres.
Je passerai volontairement sur les long-métrages que je n'ai pas eu l'occasion (le plaisir?) de visionner, à savoir "Pee Wee Big Adventure" de 1985 (le premier film de M. Burton), ainsi que sur
ceux que je ne considère pas à mon sens comme officiellement de lui, tel est le cas de "L'étrange Noël de M. Jack" de 1993 (je lui préfère définitivement son titre original - "Nightmare Before
Christmas" - plus évocateur et terrifiant), signé par Henry Selick, malgré le fait que Tim Burton a incontestablement laissé sa patte indélébile sur ce film d'animation élevé au rang de
cultissime.
Introduction
L'adjectif "burtonien" s'est au fil de ces dernières années largement démocratisé. Il ne serait pas étonnant de le retrouver dans un dictionnaire. Mais peut-être l'est-il déjà? Reste à confirmer
en consultant une édition récente.
Quoiqu'il en soit, ce néologisme se retrouve assez fréquemment dans la presse consacrée à l'audiovisuel et désigne, pour ceux qui n'ont pas l'habitude de s'adonner à la lecture de ce genre
d'articles, un univers n'ayant pas à rougir de ceux qu'on voit habituellement dans un film de Tim Burton.
Les éléments constitutifs d'un tel univers (encore faut-il préciser que cet univers n'est pas limité au visuel, il peut aussi être auditif) sont généralement et basiquement des arbres sans
feuilles aux branches particulièrement tordues, des ombres cauchemardesques et des couleurs dominantes assez sombres (gris, noir, bleu foncé, rouge sang) notamment.
D'un point de vue auditif, cela peut s'apparenter à une musique "elfmanienne" (nouveau néologisme que l'on retrouve assez souvent lui aussi), désignant pour sa part une musique empruntant
beaucoup à celles que compose habituellement Danny Elfman, compositeur officiel et attitré de Tim Burton. Les ingrédients que l'on y entend de manière récurrente sont des choeurs ("choeurs
elfmaniens") d'une douceur infinie et des violons solistes, le tout sous un rythme enjoué et mémorable. Mais je ne me hasarderai pas à tenter une analyse de l'oeuvre de Danny Elfman, mes
connaissances générales d'un point de vue musical étant particulièrement pauvres dans ce domaine.
Dans tous les cas, les termes de "burtonien" et "elfmanien" sont assez souvent remplacés par "gothique", adjectif plus passe-partout. Mais tout cela pour dire que le fait d'avoir retrouvé un
nombre incalculable de fois les termes sus-énoncés dans des articles consacrés au cinéma ne dément pas l'importance qu'ont pu accorder les critiques au réalisateur Tim Burton (et dans une moindre
mesure à son compositeur fétiche Danny Elfman), ce dernier ayant donc par là réussi à imposer un style, un genre tellement "personnalisé" qu'on a fini par le qualifier à l'aide du propre nom de
famille de son auteur. N'existe-t-il pas de meilleure consécration par la presse d'un certain talent? A ce titre, pour citer un autre exemple, on retrouve également ce style d'adjectif pour
désigner les caractéristiques récurrentes propres à un autre réalisateur également très connu : Alfred Hitchcock (et son caractère "hitchcockien").
Mais pour revenir à Tim Burton et au sujet du propos, quiconque s'intéresse un tant soit peu au cinéaste est capable de constater une évolution notable à travers ses oeuvres. En une vingtaine
d'années (de 1988 à 2010), Tim Burton a ému, a diverti, a fait rire, a donné son nom à son propre style. Bref, en un mot comme en cent, il est devenu un incontournable. En une vingtaine d'années,
il est cependant difficile d'être constant, il faut l'avouer. Et il est aussi beaucoup plus ardu de ne pas décevoir les fans qui suivent le bonhomme depuis ses débuts. Le cinéma étant une
représentation de la réalité, cette réalité étant changeante, il est logique que le cinéma le soit également (et heureusement). Mais ce n'est pas toujours dans le meilleur sens. Certains
réalisateurs y arrivent plutôt bien, savent évoluer et tirent parti de la société actuelle pour livrer des oeuvres à la fois intelligente et divertissante. Steven Spielberg ne l'a-t-il pas fait
en 2005 avec sa "guerre des mondes" qui illustre à merveille la paranoïa américaine post-11-septembre? Il s'agit néanmoins là d'un exemple facile. Concernant Tim Burton, il s'agit d'une toute
autre affaire. Son style est aisément reconnaissable, bien que l'étant plus dans ses films personnels et moins quand il y a eu pression des producteurs (pression qui se ressent assez souvent).
Comme la plupart des artistes, les premières oeuvres sont souvent les plus personnelles et les plus inventives (I). Mais le succès aidant et le public grandissant, par souci de consensualisme,
les produits (oui, on ne parle déjà plus d'oeuvres) qui suivent sont déjà moins séduisants et plus racoleurs (II).
Par manque d'originalité, mais aussi parce qu'il est plus facile de commenter une évolution en adoptant un tel point de vue, le plan chronologique sera retenu.
I) Les premières oeuvres, personnelles et inventives
Tim Burton a à peine 27 ans quand il sort son premier vrai film : "Pee Wee Big Adventure", en 1985. Comme cela a déjà été dit plus haut, l'auteur de ces lignes n'a pas eu l'occasion de s'adonner
à la vision de ce long-métrage. Mais 27 ans, pour un réalisateur, c'est jeune, quoiqu'on en dise. Mais c'est souvent bon signe. Après tout, Orson Welles n'avait, lui, que 26 ans quand il a sorti
son chef-d'oeuvre "Citizen Kane" en 1941. Le monde du cinéma est impitoyable : les grands réalisateurs ne sont reconnus comme tels que quand ils sont de vieux croûtons. Alors autant dire que
quand un petit jeune parvient à se faire sa place au soleil, on peut difficilement l'ignorer.
Les premiers films ont aussi été le moyen pour Tim Burton de faire découvrir au public son univers décalé mais le fait qu'il soit jeune, ce qui rime souvent, hélas, avec inexpérimenté pour les
producteurs, a aussi contribué à ce qu'il soit bridé par ces derniers (A).
Mais la reconnaissance aidant, le jeune artiste a pu progressivement s'imposer, continuant à imposer son petit monde burtonien tout en faisant grossir le budget. Ce monde n'a pas toujours plu à
tous les publics, mais cela constitue là l'apogée burtonienne (B).
A) Un univers décalé introduit par "Beetlejuice" (1988) mais une forte pression des producteurs dans "Batman" (1989)
"Beetlejuice" est un petit film. Certains ne le connaissent peut-être pas ou du moins se remémorent la série animée éponyme diffusée au début des années 90. Quoiqu'il en soit, "Beetlejuice" est
bel et bien un film de Tim Burton dans toute sa splendeur, à commencer par son thème principal qui n'est pas sans rappeler celui qu'on retrouvera plus tard dans le film d'animation "Les Noces
Funèbres" de 2005 : la dualité entre le monde des vivants et le monde des morts, ce dernier se présentant paradoxalement comme plus attirant que le premier. "Beetlejuice" narre le quotidien d'un
jeune couple décédé qui découvre petit à petit le monde des morts et tente d'expulser la famille bien vivante qui a racheté leur maison. Les grands thèmes burtoniens sont présents : la dualité de
deux mondes venant d'être évoqués, mais aussi l'anti-conformisme, l'incompréhension, la marginalité et la tolérance, avec tout ce que cela implique (mal-être, rejet, solitude).
Tim Burton est un être marginal, et cela se ressent dans ses films qui mettent souvent en scène un personnage principal coincé entre deux univers, qui se sait pertinemment appartenir à tel monde
mais dont le désir ardent est de découvrir et faire partie de l'autre, autrement plus attractif et joyeux. Mais l'adaptation étant difficile et la majorité des gens méchante et peu accueillante,
le personnage principal renonce avec tristesse à une nouvelle vie pleine de promesses vaines et préfère se terrer dans le monde d'où il vient, moins drôle, moins coloré mais moins dangereux.
Alors oui, cette trame n'est pas sans rappeler celle de "Edward aux mains d'argent" (1989), considéré par beaucoup (et à raison) comme le meilleur film de Tim Burton parce que le plus
représentatif de l'univers du cinéaste qui évoque ici dans sa forme la plus pure et la plus évidente les grands thèmes récurrents de ses oeuvres, et ce de manière quasi-autobiographique.
"Beetlejuice" représente aussi à sa manière de tels thèmes mais de manière plus déjantée, plus drôle. On y rit de la mort, on y rit de la bêtise des vivants. Je me rappelle sur un site fait par
un très très grand fan de Tim Burton qu'il était dit de "Beetlejuice" qu'il s'agissait là d'un des très rares films parvenant à concilier le genre comédie et le genre fantastique de manière
équilibrée, sans pencher trop favorablement pour l'un ou l'autre. Je suis bien d'accord avec une telle affirmation. "Beetlejuice" est une comédie fantastique à l'état pur, et aussi un pur
reliquat du monde original de Tim Burton représenté par des maquettes caractéristiques : les formes, les couleurs, mais également l'animation image-par-image qui confère au tout le charme
indéniable des effets spéciaux conçus à l'ancienne. Là est aussi l'occasion pour Tim Burton de s'entourer d'acteurs qui reviendront de nombreuses fois dans ses long-métrages, tels que Michael
Keaton et Winona Ryder. L'occasion aussi pour Danny Elfman, qui signe là sa deuxième collaboration avec le réalisateur après "Pee Wee Big Adventure", de livrer un de ses thèmes les plus
mémorables : celui de Beetlejuice, une marche macabre jouée au piano devenue une musique incontournable pour servir un univers consacré aux fantômes.
Michael Keaton (de son vrai nom Michael Douglas, mais il a préféré en changer, on se demande pourquoi...), acteur ayant incarné le délirant personnage de Beetlejuice, sera désigné par Tim Burton
pour être à l'écran Bruce Wayne/Batman dans le film de 1989 consacré à l'homme chauve-souris. Un peu comme Daniel Craig en 2005 qui fut décrié pour avoir été choisi en tant que nouveau James
Bond, Keaton sera très critiqué par la communauté des fans de Batman pour les mêmes raisons, à savoir un physique peu adapté à l'image de ce qu'on se fait du héros. Il est vrai que Keaton
ressemble plus à un Julien Lepers qu'à un véritable milliardaire qui va tabasser des voyous la nuit déguisé en diable cornu. Mais Burton parviendra à l'imposer malgré tout. Et il s'agit là d'un
des nombreux exemples qui montrent que le réalisateur a subi la pression des producteurs. Il faut dire que "Batman" représentait un gros projet bien coûteux, et le confier à un jeune réalisateur
était risqué. Bien sûr, notre cinéaste a su résister à de nombreuses pressions (il était même question d'inclure dès le début le personnage de Robin, heureusement que ça a échoué...) mais il est
aussi des points où l'on constate qu'il a bel et bien été muselé. L'univers visuel est relativement sage, le scénario également. La musique aussi. Si Danny Elfman est toujours là et livre un
autre thème mémorable (le "Batman Theme" est un des grands classiques de la musique de films), il a été fait appel au chanteur-compositeur Prince pour donner un aspect actuel au spectacle. Effet
quelque peu raté d'ailleurs. Si Burton n'a pas totalement réussi à éviter la présence de cette star dans la B.O. de son film, il a semble-t-il tout fait pour minimiser sa participation, et cela
se sent. Je tiens d'ailleurs à dire que, loin de décrier Prince (artiste que je ne connais point du tout mais qui au demeurant ne m'attire pas plus que ça), les quelques scènes où ses chansons
interviennent sont les moins convaincantes (le musée et le défilé). Pire : cela ancre le film dans une époque située à la fin des années 80 alors que l'univers visuel (les habits, les voitures)
le situerait plus volontiers dans les années 50. Cela a donc pour effet indésirable d'accélèrer son vieillissement parce que, n'ayons pas peur de le dire, le "Batman" de 1989 accuse un sérieux
coup de vieux.
Vous me direz, "Batman Returns" ("Batman, le défi" de son titre français, titre que je trouve au passage affreux) de 1991 n'a pas mieux accusé les effets du temps. Pourtant, de par son univers
encore plus particulier et plus sombre que le premier "Batman", il accède à un statut d'intemporalité et constitue avec de nombreux films du réalisateur l'apogée burtonienne, débutée par "Edward
aux mains d'argent".
B) L'apogée burtonienne, de "Edward aux mains d'argent" (1990) à "Sleepy Hollow" (1999)
"Edward aux mains d'argent", c'est le film consensuellement admis (mais ce n'est pas pour autant le meilleur pour moi) comme LE meilleur film de Tim Burton : le plus personnel, le plus
représentatif, le plus poétique, le plus émouvant, celui aussi qui a la meilleure musique...
Sorte de mélange non avoué entre "La Belle et la Bête", "Roméo et Juliette" et "Frankenstein", l'histoire est également prétexte à la tendance autobiographique de Tim Burton. L'univers
banlieusard qu'il dépeint est celui dans lequel il a grandi et qu'il n'a jamais apprécié. Le jeu de couleurs en dit d'ailleurs beaucoup : les maisons et les vêtements des habitants sont colorés,
mais le personnage d'Edward est toujours en noir et blanc, à la manière de Tim Burton lui-même (la ressemblance physique entre les deux n'est pas un simple hasard). Comme cela a déjà été évoqué
plus haut, c'est le film burtonien à l'état pur. Un film a priori simple mais sur lequel il y a beaucoup à dire quand on l'ancre dans la filmographie de son auteur.
C'est aussi un film dans lequel on retrouve Winona Ryder et qui marque la première des nombreuses collaborations entre Tim Burton et Johnny Depp, ce dernier voulant casser son image de beau gosse
vu dans la série télévisée "21 Jump Street" pour se lancer dans un rôle moins avantageux. Et c'est d'ailleurs dans de telles situations qu'on décèle un grand acteur, c'est-à-dire son aptitude
"caméléon" qui veut qu'il soit à l'aise dans tous les styles, quelle que soit son apparence (d'autres exemples sont à citer, tels que Gary Oldman qui a su à merveille interpréter Dracula dans le
film de Coppola ou encore Jim Gordon dans le récent et très bon "The Dark Knight").
"Edward aux mains d'argent", c'est aussi et incontestablement la meilleure oeuvre musicale de Danny Elfman : une bande originale (B.O.) d'une beauté infinie et pleine de choeurs, maintes fois
réutilisée dans des publicités (la célèbre campagne avec le Chaperon Rouge pour le parfum Chanel n° 5).
"Edward aux mains d'argent", c'est également le premier film devant lequel j'ai pleuré (oui, je n'ai pas honte de l'avouer), les scènes de flashbacks avec l'inventeur étant particulièrement
poignantes. Cet inventeur est d'ailleurs joué par Vincent Price, acteur dont Tim Burton est un grand fan et dont on peut imaginer le plaisir qu'il a eu de tourner avec son idole.
"Edward aux mains d'argent", c'est enfin et surtout un des films les plus ouvertement tristes de Tim Burton pour le personnage principal. La fin n'est pas heureuse bien que belle. Plus que ça :
il s'agit là d'une fin réaliste, à la "Roméo et Juliette", où l'amour entre deux êtres que tout oppose ne peut survivre dans un monde où les apparences sont reines et où la guerre entre les
différences, de quelque nature qu'elles soient, fait rage. Edward fuit donc un monde trop lunatique qui ne voit en lui qu'une bête de foire, à la manière de la créature de Frankenstein.
Néanmoins, Tim Burton ira encore plus loin en 1991 dans la suite de "Batman". Fort du succès de "Edward aux mains d'argent", il parvient non seulement à imposer ses choix artistiques mais
également son style dans ce qu'il y a de plus sombre aux producteurs qui voulaient à tout prix ce réalisateur pour concocter "Batman 2". Ils n'ont pu que céder aux exigences de ce dernier qui a
ainsi eu carte blanche pour livrer le fameux "Batman Returns", oeuvre plus subtile que "Edward aux mains d'argent" et infiniment plus perturbante.
On le savait depuis longtemps : l'univers de Batman n'est pas drôle. Cela s'est vu en 1989 avec le personnage du Joker, figure du mal et de la folie à l'état pur ne faisant rire que lui-même
(interprété par un remarquable Jack Nicholson qui reçut en contrepartie un salaire bien confortable). Mais le Joker n'est qu'une figure classique de Batman, un véritable opposé ne faisant
ressortir que le côté bon et humain de l'homme chauve-souris, en contraste total avec l'anarchisme du clown criminel. "Batman Returns" fera appel dans son histoire à des méchants plus ambigus,
plus humains et donc plus proches de Batman. La jalousie guette même à plusieurs reprises dans le film quand Alfred le majordome demande à Bruce Wayne s'il tient absolument à être le seul monstre
de la ville.
Ces méchants, ce sont le Pingouin et Catwoman. Rien que par de tels noms, la dualité est présente (l'alter ego de chacun avec un animal, pour ne citer que cela : chat, chauve-souris, pingouin).
Le triangle amoureux chaste que l'on retrouvait déjà dans le premier Batman (Joker-Batman-Vicky) se voit rajouter dans ce deuxième opus les tensions sexuelles qui classent déjà le film dans un
registre plus averti ("je dois rentrer chez moi et nourrir ma chatte" dira Selina Kyle, alias Catwoman). C'est là une chose que les parents ont vu d'un mauvais oeil quand ils ont emmené leurs
enfants voir le film.
L'accueil de "Batman Returns" fut donc plus mitigé au box office. A prendre en compte également le message terriblement pessimiste du film qui se passe, tout comme "Edward aux mains d'argent",
pendant la période de Noël, et met en scène un Bruce Wayne finalement plus seul que jamais, après le véritable massacre final.
Il y a beaucoup de choses à dire sur ce deuxième épisode des aventures de Batman et cela fera peut-être l'objet d'un article futur. Personnellement, je le considère comme LE chef d'oeuvre ultime
de Tim Burton : un grand spectacle mature, un anti-conte de Noël, une galerie de monstres effrayante, un univers visuel et musical torturé, une confusion du bien et du mal, de l'amour et de la
haine... A mon sens, et jusque là, Tim Burton n'a jamais réussi à faire mieux dans ce qui se fait de paradoxal, à savoir une grosse production personnelle, riche en thématiques houleuses.
Les films qui suivront seront tout aussi personnels.
"Ed Wood" (1994) raconte la vie du réalisateur tristement connu pour avoir été dans les années 50 "le pire réalisateur de tous les temps". Difficile de ne voir pas voir à quel point Tim Burton
s'identifie d'ailleurs à Ed Wood (interprété ici par Johnny Depp, véritablement considéré comme l'alter ego de Burton à l'écran). La relation que ce dernier entretint d'ailleurs avec Bela Lugosi
n'était pas différente de celle que Burton a eu avec Vincent Price. "Ed Wood", c'est aussi une déclaration d'amour faite au cinéma des années 50 et à ses figures emblématiques, particulièrement
aux films d'horreur réalisés avec les moyens de l'époque (maquettes géantes, décors en carton-pâte) et aux nanars (dont Ed Wood est le père spirituel avec son "Plan 9 From Outer Space").
Le film "Ed Wood" marque aussi la période hommage que Tim Burton continuera jusqu'en 1999 grâce à deux autres films.
Tout d'abord "Mars Attacks!" (1996), sorte de grosse parodie de "Independance Day", qui est un vibrant hommage aux films de science-fiction des années 50. Les Martiens y sont représentés avec les
pires clichés qui soient : les soucoupes volantes ressemblant à des assiettes géantes, des petits hommes verts bêtes et méchants avec une grosse tête... A savoir que le look desdites créatures a
été inspiré par un jeu de cartes des années 50.
Mais les clichés se retrouvent aussi chez les humains qui n'ont jamais été aussi crétins. L'occasion une nouvelle fois pour Tim Burton de critiquer amèrement ses contemporains et surtout
l'Amérique : les militaires ne pensent qu'à se battre sans réfléchir, les journalistes sont plus préoccupés par leur coiffure que par leur job, j'en passe et des meilleurs. Le ton est décalé, le
tout est grinçant. "Mars Attacks!" est un film où on rit franchement, mais on y rit jaune aussi. La fin est d'ailleurs un monument de poilade avec une chanson country littéralement mortelle.
Ensuite et enfin, "Sleepy Hollow", lui aussi film hommage, est quant à lui une déclaration d'amour aux vieux films d'épouvante. Oh bien sûr! le film en lui-même ne fait pas peur et se veut plus
une pièce de théâtre qu'un véritable film dans sa réalisation. Mais "Sleepy Hollow" a d'indéniables qualités, ne serait-ce que sur le plan technique où il s'agit sûrement à ce jour de l'oeuvre la
plus aboutie visuellement de Tim Burton : l'atmosphère, l'ambiance, les décors, la lumière, les costumes, les têtes coupées... On en prend plein les mirettes et le terme de "ambiance burtonienne"
prend là tout son sens. La musique n'est pas en reste puisque Danny Elfman, qui a toujours composé la musique des films de Tim Burton à l'exception de celle de "Ed Wood", est encore là pour
livrer une B.O. magnifique, elle aussi pleine de choeurs, mais très sombre et pesante.
"Sleepy Hollow" est d'ailleurs à mon sens le dernier bon film au sens noble du terme de Tim Burton. Non pas que ce qui suivra ne sera pas bon, loin de là. Mais pour quelqu'un qui nous a habitué à
livrer des perles telles que "Edward aux mains d'argent" ou "Batman Returns", le reste sera bien bien en dessous.
La promotion se fera certes, pour les films qui suivront, à coups de "réalisé par Tim Burton, avec Johnnny Depp", mais cela ne constitue qu'un label plus que commercial, offrant une forme
incontestablement burtonienne mais un fond diaboliquement aux antipotes du message délivré initialement par le réalisateur qui semble s'être libéré de ses démons et entré dans le cercle vicieux
des réalisateurs à succès : techniquement irréprochables mais sans âme.
II) Les derniers produits, moins séduisants et plus racoleurs
L'apogée burtonienne a duré le temps qu'ont duré les années 90. Le début du XIXe siècle n'a pas changé que les calendriers mais aussi la manière de faire d'un réalisateur tombé dans le piège des
films de commande. Le spectacle est assuré mais il manquera ce petit plus qui faisait ressentir la véritable magie burtonienne, magie qu'on a cru absente en 2001 avec le remake de "La Planète des
Singes", qui a rejailli de manière fortement atténuée dans des petites perles telles "Big Fish" en 2003 (A), mais qui n'a finalement pas survécu. Tim Burton se conforte donc dans des oeuvres dont
le succès est assuré dès qu'il y dépose son nom dessus, mais ce succès est bien minime pour les vrais fans (B).
A) La magie burtonienne à l'agonie
Un des films admis comme un des moins personnels de Tim Burton est sans conteste le remake de "La Planète des Singes" en 2001. Classique de la littérature française de science-fiction ayant donné
lieu à de nombreux films eux aussi élevés au rang de cultes, cette histoire de singes évolués avait-elle réellement besoin d'un reboot? Là est la problématique engendrée par la grande partie des
remakes, dont l'objectif premier est assez rarement autre que celui d'exploiter une nouvelle fois des droits sur une oeuvre déterminée. Certains arrivent à surpasser l'original mais force est de
constater qu'il s'agit là de quelques exceptions assez limitées.
Néanmoins, l'autre aspect à souligner est que les remakes présentent souvent l'intérêt en filigrane d'exposer les progrès techniques intervenus entre l'original et le récent long-métrage. Et
force est de constater que "La Planète des Singes" satisfait pas mal sur ce point. Mais on ne peut juger un livre à sa couverture. Si les maquillages sont impressionnants (notons toutefois que
ceux des films originaux étaient eux aussi convaincants), cela ne peut suffire à qualifier le film de bon ou de chef d'oeuvre. Tim Burton assure là le minimum syndical. C'est également le cas de
Danny Elfman et de sa musique bestiale qui colle bien aux images. Mais qualifier le spectacle de burtonien, c'est exposer au monde sa méconnaissance sur Tim Burton. Aucun des thèmes-clés de
l'auteur n'est présent dans cette adaptation supplémentaire du roman éponyme qui divertit le temps d'une soirée mais n'est pas transcendant pour un sou.
L'anecdote, c'est la présence au générique du mannequin Estella Warren, qui fut un temps l'égérie pour le parfum Chanel n° 5, dont la campagne publicitaire a déjà été évoquée précédemment.
Tim Burton est-il mort? Pas encore. En 2003 sort "Big Fish", film qui renouera les liens déjà fortement marqués par "La Planète des Singes" entre le célèbre cinéaste et ses fans. Mais on assiste
là à la naissance d'un nouveau Tim Burton, un Tim Burton qui a, entre 2001 et 2003, connu quelques évènements heureux (second mariage, naissance de son premier fils) et moins heureux (le décès de
ses parents). "Big Fish" est donc plus orienté famille, et pour cause, le sujet du film s'y prête : au moment où un jeune homme s'apprête à devenir à son tour père, il tente d'en apprendre plus
sur son géniteur mourant. On craint le mélodrame larmoyant. Mais il n'en est rien, "Big Fish" s'ancrant plutôt dans la comédie dramatique qui fait tant rire que pleurer, un gentil petit film
lyrique saupoudré d'une pointe très légère de fantastique un peu hésitant mais bel et bien présent. Un joli petit film aux allures de "Forrest Gump".
Mais le Tim Burton que l'on connaissait n'est plus : bienvenue à Tim Burton 2. Arrivera-t-il cependant à rallier ses premiers fans à sa cause? Réponse lors de la deuxième moitié de l'année 2005,
où le petit Timmy, récemment devenu grand, livre pas moins de deux films : "Charlie et la chocolaterie" et "Les Noces Funèbres".
"Charlie et la chocolaterie" est un livre pour enfants connu du plus grand monde, qui a dû faire rêver la majorité des gourmands grâce à un univers décalé, une usine de chocolat inoubliable et
une réflexion sur les différentes manières dont les enfants peuvent être élevés. Une adaptation était déjà sortie en 1962. Quelle joie d'apprendre que, plus de 40 ans plus tard, une nouvelle
adaptation serait mise en chantier par Tim Burton avec pour rôle vedette l'acteur Johnny Depp!
Mais Johnny Depp pouvait-il jouer un Willy Wonka blasé avec son visage d'éternel jeunot?
Le verdict divisa les critiques. Si le film a su rallier le grand public grâce à une histoire traitée de manière ni trop puérile ni trop adulte aux besoins d'effets spéciaux colorés (quoique
frisant l'overdose numérique), le résultat final s'est avéré assez conventionnel. Le personnage de Johnny Depp est assez agaçant. Les libertés prises au niveau de l'oeuvre originale, surtout à la
fin, n'ont pas convaincu (le message terriblement récurrent du style "la famille, y a que ça de vrai"). Le penchant un peu trop comédie musicale (la version française est à ce titre affreuse) a
pu en dérouter plus d'un.
Pas un grand film mais un honnête divertissement familial : ça la forme d'un Tim Burton, ça en a la musique (Danny Elfman livre un énième thème principal quasi-inoubliable) mais ça n'en a pas
complètement le goût, à cause du happy end du genre de ce qui s'est fait de pire chez Tim Burton, du moins jusqu'au récent "Alice aux Pays des Merveilles".
"Les Noces Funèbres", sorti quelques mois plus tard, a su renouer un peu plus avec le genre burtonien en adoptant la forme et le fond de "L'étrange Noël de M. Jack" en saupoudrant le tout des
thèmes de "Beetlejuice" (un monde des vivants morne et un monde des morts joyeux). Techniquement et musicalement, c'est classiquement burtonien-elfmanien et on n'est pas déçu. Mais ce qui manque
là aussi, c'est l'absence de réelle folie. L'histoire est très très prévisible, et à aucun moment on ne s'attache aux personnages.
Est-ce la faute à un manque d'audace de la part du réalisateur qui se complaît dans le style qu'il a amené à populariser, sans innover véritablement, ou la faute à la lassitude du spectateur qui
peut ne voir dans "Les Noces Funèbres" qu'une copie carbone de "L'étrange Noël de M. Jack" dont Tim Burton peut se prétendre le véritable maître et auteur? Rappelons que "L'étrange Noël de M.
Jack", s'il a bénéficié de la musique de Danny Elfman et de la direction artistique de M. Burton, n'en est pas moins réalisé par Henry Selick (qui a réalisé l'excellent "Coraline" en 2009).
Par la suite, cela sera trois d'absence, avant l'enterrement par le biais de "Sweeney Todd" et "Alice au Pays des Merveilles".
B) Des films à succès ayant déçu les plus grands fans
Janvier 2008 : sortie de "Sweeney Todd". Première déception : l'absence de Danny Elfman à la musique. Deuxième déception : une véritable comédie musicale dans la tradition de ce qui se fait de
plus classique à Hollywood (donc extrêmement prévisible là aussi). L'histoire est d'ailleurs inspirée d'un spectacle de Broadway. Les effets numériques sont ratés (le générique est affreux), le
casting est prestigieux mais relativement sous-exploité, et les chansons sont horripilantes.
Johnny Depp est mono-expressif. S'il pousse pour la première fois la chansonnette, son utilisation constante par Tim Burton dans ses films depuis 2005 a de quoi énerver pour une raison simple :
la sortie d'un film de Tim Burton est-elle un évènement parce qu'il s'agit d'un film de Tim Burton, d'un film de Johnny Depp, ou d'une collaboration? Si les deux hommes sont amis depuis longue
date, nul doute que Depp est plus connu que Burton et que son simple nom en gros sur l'affiche suffit à rallier (phénomène "Pirates des Caraïbes").
Ce recours constant à Johnny s'est surtout vu à l'occasion de la sortie de la bande-annonce de "Alice aux Pays des Merveilles" : en effet, si l'acteur incarne le Chapelier Fou, force est de
constater qu'il s'agit dans le film d'un personnage secondaire. Pourquoi dans ce cas ne mettre que lui ainsi que son seul nom sur les affiches? Dans de telles circonstances, difficile de ne pas
voir la tactique commerciale qui veut qu'un nom soit toujours vendeur, même si le porteur dudit nom n'apparaît que relativement peu à l'écran par rapport à la promotion qui a été faite.
"Alice au Pays des Merveilles" est sorti en mars 2010. La mode étant celle des grands spectacles en 3-D, la possibilité est faite aux spectateurs d'aller voir le film dans ses conditions, de la
même manière que "Avatar", sorti quelques mois plus tôt. Résultat des courses : dans "Alice", la 3-D n'apporte strictement rien. Si l'univers visuel est un régal pour les yeux, le système est
très très mal exploité (vous me direz, je n'avais déjà pas été très convaincu par "Avatar", mais dans "Alice", ça a vraiment été l'arnaque). Comme de coutume depuis quelques années, le numérique
pullule à l'écran, certains effets étant plus réussis que d'autres, mais le tout reste quand même fade et lisse, donnant plus l'impression de regarder un Pixar qu'un véritable film.
De même, l'histoire, un peu prise sur le modèle de l'inoubliable "Hook" de Spielberg, est trop trop gentillette. Et là, plus peur de l'avouer : "Alice au Pays des Merveilles" est un film Disney.
Tim Burton a vendu son âme au diable. Je ne m'attarderai pas plus sur les nombreux autres points critiquables de "Alice", mais entre un happy end dégoulinant, une bataille finale qui retombe
comme un soufflet (le duel est trop court, la danse du Chapelier est ridicule) et un personnage au potentiel énorme sous-exploité comme jamais (le chat et son sourire), le dernier film en date de
Tim Burton fait l'effet d'un pétard mouillé. Le projet sur le papier avait de quoi séduire, et on était en droit de s'attendre à un spectacle tout public dans lequel les adultes comprendraient
des références plus subtiles sans avoir l'impression d'assister à un film exclusivement fait pour les enfants (l'oeuvre de Lewis Carroll est assez tendancieuse pour ça, et faire de Alice une
jeune femme de 19 ans, c'était prometteur). Mais non. Disney a-t-il fait pression ou Tim Burton s'est-il laissé faire? Beaucoup pencheraient pour la seconde hypothèse, plus vraisemblable.
Le bilan est le suivant : un spectacle puérile et décevant, à la rigueur sauvée par la musique de Danny Elfman (son grand retour sur un film de Tim Burton). Et encore, ladite musique, bien
qu'entraînante et mémorable, a le défaut d'être trop vite répétitive.
Voilà en gros les raisons pour lesquelles Tim Burton me déçoit aujourd'hui. Il est peut-être le président du 63e Festival de Cannes et sa carrière lui donnait droit à ce titre. Mais si on ne se
fiait qu'à ses derniers films, on aurait pu douter de cette légitimité.